En ouvrant un magazine dentaire, je suis tombé en arrêt sur une publicité pour un objet pointu Tongue Star qui se colle sur les faces internes des dents pour contrôler la position de la langue et corriger les « open bite », mais aussi pour modifier la position de la langue lorsque les patients parlent ou mangent !
Cet objet m’a paru tellement éloigné de la vision holistique que nous nous avait enseigné Mme Maryvonne Fournier, lors d’un ancien congrès d’Odenth, sur les praxies de la langue, enseignement repris dans les cours du DU, d’implantologie, de la Pitié -Salpêtrière dans les années 2000. La vision de cet objet m’a ramené à la consultation d’un ouvrage du Pr Gérard Couly sur les oralités humaines tout en plaignant les patients devant subir ce genre de soins.
Ce professeur de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie, spécialiste des malformations faciales et buccales de l’enfant à l’hôpital Necker « enfants malades » à Paris, a dirigé l’institut d’embryologie cellulaire et moléculaire du collège de France et du CNRS. Il décrit la langue comme clé de toutes les oralités. La considération de la forme du maxillaire et de l’alignement des dents chez l’enfant n’a pu se faire sans cette réflexion approfondie du rôle central intra-buccal de l’organe lingual.
La bouche loge la langue, organe gustatif et outil de capture alimentaire au même titre que les dents.
Selon lui, la langue est le résultat d’un « bricolage de l’évolution « car elle est construite par des muscles vertébraux qui ont migré de la région de la base du crâne occipital pour aller se placer dans le plancher buccal. Elle est également recouverte de peau en avant et d’intestin en arrière ».
Mais la véritable fonction de la langue est observé chez le fœtus qui manifeste le début de son oralité vers la 12e semaine de gestation : la déglutition, c’est-à-dire la fonction permettant aux nutriments de basculer de la bouche dans le pharynx, le secteur le plus antérieur de l’intestin.
Cette fonction linguale fait passer le nutriment de la bouche, en tant que cavité externalisée dans l’intérieur intestinal de l’être, le MOI intestinal.
Les muscles de la langue reçoivent leur innervation de deux nerfs hypoglosses considérés comme des nerfs rachidiens, incorporés au cours de l’évolution des espèces dans le cerveau.
Selon ce professeur, la langue nous apparaît comme un membre dépourvu d’os et constitué uniquement de muscles couverts de peau. L’enchevêtrement multidirectionnel des muscles de la langue en assure cette possibilité.
La langue est donc un organe récepteur du monde des saveurs équivalent de la rétine pour la lumière et des nerfs olfactifs pour les odeurs avec lesquels il coopère dans la construction de la sensation de flaveurs des aliments qui vont transiter par la bouche.
Il peut être aussi chez certains animaux un organe simulateur de proie et parfois un outil indispensable pour l’alimentation des individus. Par exemple, la langue vermiculaire que la lamproie expose lui permet de leurrer sa proie qui prend sa langue pour un vers. Cette proie est ainsi capturée par ce poisson, grâce à sa bouche dépourvu de mâchoire se colle contre lui (la lamproie est un poisson cartilagineux, pêché dans les rivières girondines et qui se cuisine avec des poireaux et du vin rouge).
L’oralité alimentaire et l’oralité verbale croisent leur chemin par et dans la bouche. La force fondatrice initiale de l’oralité alimentaire est la première à se mettre en place chez le fœtus et apparaît comme la fonction structurante par excellence sur laquelle et à partir de laquelle se construisent les autres fonctions intellectuelles et en particulier l’oralité verbale.
Sur le plan métaphorique, il existe des expressions populaires, utilisées dans le langage commun, mais aussi en littérature.
Pour la langue :
- Avoir la langue bien pendue
- Donner sa langue au chat
- Tenir sa langue
- Avoir la langue trop longue
- Délier la langue,
- Mauvaise Langue
- Langue vivante, langue morte
- Avoir un cheveu sur la langue
- Ne pas avoir sa langue dans sa poche
- Avoir un mot sur le bout de la langue
Dans le petit dictionnaire en langue des oiseaux : on sait bien par la langue nous exprimons les pensées angéliques qui nous habitent, mais cette langue est parfois de vipère. Quand elle se met au service de la critique et de la destruction. C’est alors une vie perdue, une douleur à la langue nous met donc on garde, pour une juste utilisation de la parole
La langue scientifique à l’image des sciences du XVIIIe siècle est déterministe et fixiste, ce qui signifie qu’un mot est adopté une fois pour toutes.
La langue vivante elle n’a besoin d’aucune convention pour exister. Ces langues (vivantes) maintiennent la liberté de la vie et les possibilités d’évolution de la conscience.
La langue des oiseaux ne décrit pas la chose comme le ferait la science, ni ne la communique dans un océan de quiproquo comme le fond les langues communes. Elle évoque les parcelles de sens que les choses maintiennent en manifestation !
La langue sacrée accentue, surtout la force vibratoire du mot : les mantras par leur fréquence peuvent être répétés par des personnes ignorants du sanskrit ou du latin, sans que cela ne ternisse leur efficacité.
À chaque langage, son domaine, le parler scientifique décrit, classe et décode des mécanismes au sein d’un univers normalement objectif. Le parler courant met en relation des êtres subjectifs vivants au sein d’un monde mouvant et complexe. La langue des oiseaux maintient le rappel et du sens, des mots et le rythme des langages sacrés œuvre pour la transformation des choses et des êtres.
Chaque langue représente un scandale pour les trois autres, car les règles de lecture sont à chaque fois totalement bouleversées.
Pour conclure sur cette digression après la vision de cette objet « étoile de langue » conçu pour guider et contraindre la langue, nous terminerons par la citation de Marc Bert dans « le petit dictionnaire ironiquement et politiquement incorrect de l’art dentaire » :
Esope dit : « La langue est la meilleure des choses. C’est le lien de la vie civile, la clé des sciences avec elle ; on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées mais le lendemain » ; Puis : « La langue est la pire des choses. La mère de tous les débats, la nourrice des procès la source de guerres, de la calomnie et du mensonge ».
Marc Bert rappelle alors qu’il existe une zone particulière sur cet organe. Le bout de la langue qui a deux fonctions :
- goûter des aliments d’aspect peu engageant,
- stocker des mots que l’on ne trouve pas : « je l’ai sur le bout de la langue ».
P.S. : Georges Raby journaliste et poète Québécois écrit « il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, quatorze fois pour les bilingues
Sources :
- les oralités humaines Dr Gerard Couly, Petit dictionnaire en langue des oiseaux Luc Bigé,Petit dictionnaire ironique et politiquement incorrect de l’art dentaire Marc Bert)
- Quel boulot avec des Tongues Stars sur les faces internes des dents (NDLR)